Les grognards de Napoléon appelaient Castrojeriz " quatre souris" et ils s'y sont bien battus, comme d'autres avant eux, car Castrojeriz fut l'objet de bien des batailles entre maures et chrétiens. C'est une étape qui se mérite.Depuis Burgos le pèlerin marche dans la Tierra de Campos où il n'y a rien, sinon parfois à l'horizon un hameau blotti dans un creux de terrain et que l'on découvre soudain, comme Hontanas, où je me suis sustenté d'un verre de rouge et d'un morceau de chorizo après avoir marché des heures dans le vent glacial venu du nord.
Le temps a changé et je ne sais comment m'habiller. Je suis trop couvert dès que le vent tombe et que le soleil darde sur ce désert, puis le vent reprend et glace ma sueur. Je ne cesse de supporter des chauds et froids auxquels s'ajoute l'inconfort apporté par des mouches qui surgissent de partout et infestent les villages déserts. Vers le soir Castrojeriz se profile au loin avec son château sur sa colline dans la lumière de fin d'après-midi.
Je passe devant les ruines mélancoliques du couvent de San Anton où flotte un drapeau espagnol on ne sait pourquoi. Le chemin passe sous deux arches gigantesques qui reliaient autrefois l'hôpital à l'église. Deux garde manger imbriqués dans le mur rappellent qu'au Moyen Age de la nourriture y était déposée pour les pèlerins....ou les lépreux, je ne sais trop.
A Castrojeriz je trouve un excellent gîte municipal où je retrouve d'abord un couple très catho qui " se fait la gueule" ( marcher ensemble pour un vieux couple est peut-être une sanctification méritoire), puis je tombe nez à nez sur Inga,l'une des norvégiennes avec qui j'avais festoyé au vin de Cahors sur le Causse. J'avais perdu de vue les deux filles sous les trombes d'eau vers Moissac. Nous allons prendre un verre " en ville". En allemand Inga m'informe que sa copine a craqué et qu'elle est repartie en Norvège, puis elle sort un long fume cigarette en argent et se met à fumer en silence dans le bar de la grand rue, ou plutôt de la "rue chemin" la plus longue du sentier ( 2 kms). Je laisse Inga à sa fumerie pour escalader la colline et visiter le château des Templiers qui domine la ville. Là haut dans les ruines,le vent glacé souffle en tempête,mais la vue sur le "paramo" ( le plateau désertique) est magnifique. Le soleil descend lentement et je regagne le gîte dans la demi pénombre, épuisé mais heureux. Je sombre bientôt dans le sommeil.