L'histoire du 20è siècle nous apprend que la grande crise du capitalisme libéral de 1929 a trouvé sa solution dans la la seconde guerre mondiale, lorsque l'Amérique appliqua la théorie keynésienne de création illimitée de monnaie d'abord à un plan systématique de production d'armements puis, après la guerre, à la reconstruction de l'Europe ( plan Marshall ) Les disciplines et les contraintes de l'économie de guerre furent redirigées vers la consommation et cela donna les "trente glorieuses" mais aussi l'hégémonie du dollar. L'Amérique était devenu l'atelier du monde mais surtout son banquier lorsqu'elle remplaça l'étalon or par le dollar en 1944 avec les accords de Bretton Woods.
Aujourd'hui la même logique keynésienne associée à une guerre permet à l'Amérique d'annoncer un programme de 750 milliards de dollars pour l'Ukraine. L'Amérique peut se le permettre car plus le dollar n'est que papier et assignat, plus il est hégémonique. Quant à la dette américaine elle n'est qu'une fiction puisqu'un simple vote du Congrès permet à l'Amérique de rehausser le plafond de sa dette pour continuer d'inonder le monde de dollars assignats. Autant dire que ce dollar hors sol permet de financer tout et n'importe quoi, mais surtout le maintien de l'hégémonie américaine.
C'est cet ordre-là que les Brics (Brésil, Russie, Inde et Chine) souhaitent remettre en cause. Hasard ou pas, la guerre voulue par Poutine en Ukraine leur en donne l'occasion.
Face au dollar étalon et à la mondialisation libérale, inflationniste et facteur d'inégalités grandissantes la guerre en Ukraine tend à diviser le monde en deux camps. Celui du dollar et celui des nations qui refusent le mondialisme dollarisé. Et de fait déjà la Russie a imposé le rouble pour les paiements de son gaz. En face le camp otanien financé par le dollar place l'UE devant un choix stratégique, à savoir soit qu'elle accepte la dollarisation otanienne et dans ce cas pourquoi garder l'euro? Soit elle se veut autonome, maintient l'euro et rejoint les BRICS mais en perdant sa composante atlantiste.
La question de l'adaptation de l'UE et de l'euro à la mise en place d'une économie de guerre est posée. Sera-t-elle conduite par Bruxelles ou par les nations d'Europe de l'ouest? Qui décidera souverainement des rationnements et des financements ? La BCE appliquant une politique de guerre mise en place par l'UE ? Ou bien les Banques centrales européennes ? Tout est possible, mais a priori l'inexistence politique de l'UE semble appeler le retour des Etats Nations et sa division en deux camps, à savoir celui des nations otaniennes qui suivront Washington et le dollar assignat, et celui de nations européennes autonomes. Celles-ci auraient vocation à rejoindre les Brics et à se rapprocher de la Russie dans le cadre d'un nouvel ordre mondial financé par des monnaies nationales, plus ou moins convertibles et flexibles selon les environnements et les conditions géopolitiques locales.
L'économie de guerre oblige l'UE à se redéfinir dans la douleur.
C'est bien là le dilemme d'Emmanuel Macron l'Européen et l'Atlantiste. Au contraire les programmes économiques de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ne peuvent être appliqués que dans la mise en place d'une économie de guerre au plan national mais ils sont incompatibles avec le libéralisme de Bruxelles et la soumission à l'Amérique. Si la guerre dure et s'étend à d'autres parties du monde ils auront de l'avenir car l'économie de guerre s'imposera de manière incontournable. Ce sera l'heure de vérité de l'UE : soit elle émergera renforcée en tant que puissance économique et militaire souveraine financée par l'euro, soit elle se fracturera et retournera à ses nations dont les unes s'inscriront dans un espace euro atlantique dirigé par l'Oncle Sam et financé en dollars assignat, tandis que d'autres dont la France sans doute, rejoindront les Brics dans un nouvel ordre mondial concurrent et dédollarisé.